Chine 2013

         Quelle angoisse pour sortir de la ville! Même à vélo, il n'y a guère d'autres solutions que d'emprunter les périphériques. Après maintes demandes pour localiser la route qui me sortira de cet enfer urbain, je finis par m'échapper. Une pause petit déjeuner tardive et enfin j'entrevoie le bout du tunnel.

         L'interminable banlieue n'en finit pas de grandir. Tout pousse comme des champignons géants grâce notamment à une économie qui prospère depuis les années 1990.

         Sur les conseils de mon "guide papier" (je l'ai enfin sorti de mes sacoches), j'ai décidé de me rendre au parc national de Tianshan. Situé à une centaine de kilomètres à l'est de Ürümqi, il abrite à plus de 2 000 m d'altitude le superbe "lac du Paradis" appelé également "lac céleste". La montagne Tianshan et le lac, étant classés comme site naturel, j'espère pouvoir tout de même y camper ou loger sous une yourte. A 32 kilomètres du lieu tant vanté, un panneau indique la direction à suivre. "Tiens le premier affiché en anglais"!
A 30 kilomètres du lieu, un immense parking tient lieu de terminus. Dorénavant, quiconque veut poursuivre son chemin, doit obligatoirement emprunter un bus payant. Quel business!

       Certains que les vélos ne sont pas concernés, je fonce directement sur l' immense bâtiment barrant la route. On tente de m'expliquer qu'il m'est impossible de poursuivre" it's too dangerous" et que je dois faire comme tout le monde, monter en bus.

       Il n'est pas question que je participe à cette mascarade. Je n'insiste pas, je fais demi tour très déçu.
D'un autre côté, je me raisonne en me disant que même si on m'avait laissé monter à vélo, ce fameux lac si encensé par les dépliants touristiques m'aurait déçu. Certes, je ne doute pas de la beauté des lieux, mais quelle ambiance!
J'imagine déjà les rabatteurs volant dans les plumes des "pigeons" de touristes pour les inviter à dormir sous la yourte de prétendus nomades Kazakhs. Voir également, des photographes rameutant quelques gentils troupeaux de touristes désireux de se faire tirer le portrait devant un cadre féerique.
Vite fuyons!

         Le soleil au zénith tape vraiment fort. Une fois de plus, je trouve refuge chez l'habitant. On m'autorise à faire la sieste à l'ombre d'une terrasse. Pendant ce temps mes hôtes jouent aux dominos. Les mamans s'activent à la lessive.

          En chine, les jeunes enfants portent une culotte fendue. Cela évite d' acheter des couches et les oblige à être propre très tôt, beaucoup plus tôt que chez nous ! Du coup les gamins ont toujours les fesses à l 'air. Cette habitude participe grandement à la protection de la nature, dans un pays aussi peuplé.

         Ma sieste achevée, je prends congé de mes hôtes de l'après midi. Je décide de trouver un bel endroit pour planter ma tente pour la nuit. La chaleur est plus supportable et j'ai bien récupéré de mes soixante dix bornes matinaux. C'est l'heure où les "aventuriers du lac perdu" récupèrent leur véhicule après une journée passée au grand air. Le cirque "Jenaimar" vous remercie de votre visite...

         Un chemin carrossé, quelques habitations, mais je dois me rendre à l'évidence. Il n'y a pas âme qui vive dans ce bled paumé où toutes les portes sont fermées par de lourds et solides cadenas.
Planter un clou pour arrimer ma tente s'avérerait vain, dans ce sol caillouteux et aride. Je décide de faire demi-tour et de rejoindre la route 57. Celle là même qui relie Fukang et le désormais célèbre "Parking-Terminus-Tout le Monde Descend".

         Zàijiànle liánghǎo de dàolù. Oui, Au revoir et bonne route. Quelle soirée!
Quand je regagne le hamac que l'on a mis gracieusement à ma disposition pour la nuit, j'ai l'impression que les étoiles qui scintillent dans la nuit noire, dansent une drôle de sérénade. En faite, ce ne sont pas les étoiles qui valsent, mais ma tête qui tourne. Je préfère m'installer à même le sol.
         Souvent, on me demande pourquoi je voyage seul? Ma réponse toujours la même, est que si je pars seul, une fois sur place je suis rarement seul. Ma solitude toute relative, si elle questionne l'autochtone, elle l'attire aussi. Ce soir encore, à peine installé à la terrasse d'un petit resto, je suis invité à la table d'un groupe de jeunes chinois. Ceux-ci habitent Urumchi et sont venus pour la journée se divertir...au cirque.
Avant de regagner la grande ville, ils prolongent la soirée par un excellent resto. Ces businessmen et cette businesswoman, nouveaux riches chinois, ne comptent pas. Surtout pas les bouteilles de bières et de vodkas ingurgitées. Seul le chauffeur reste sobre comme un chameau. Bravo!

         Aujourd'hui, je dois regagner à nouveau Urumchi et son impitoyable circulation. Pour l'heure, j'admire ce ciel à peine éclairé par le soleil levant.
         Fukang s'éveille! Les travestis vont se raser
         Les strip-teaseuses sont rhabillées,

         Les ouvriers sont déprimés, le café est dans les tasses.
Bon je crois que cet air va m'accompagner une bonne partie de la journée.

          J'ai la chance d'avoir trouvé une autre route qu'à l'aller, pour le retour sur Urumchi.
De gros embouteillages se forment à l'entrée d'un parc. Je suis tout d'abord attiré par une immense statue, et d'autres plus petites qui se détachent sur un ciel bleu azur.
         Ce Mercredi 21 août 2013 c'est la Fête des Fantômes affamés. Elle a lieu le 15e jour du septième mois lunaire. Les esprits qui ne reçoivent pas de culte, ou ne peuvent trouver la paix pour cause de mort violente ou de mauvaise conduite, ces "esprits orphelins et fantômes sauvages" se voient offrir ce jour, des repas réconfortants et des cérémonies pour leur délivrance. 
         Les tombes sont toutes couvertes de couronnes de fleurs et d'offrandes. Toute la journée, les familles se succèdent dans ce cimetière.

         Quel contraste entre la banlieue populaire et la ville moderne. A vélo, j'ai l'occasion de côtoyer ces deux mondes si différents. Pour moi, à chaque fois c'est un peu un retour à mon quotidien.
         Aujourd'hui, ce retour se passe mal. Je suis témoin d' un accident mettant en cause une voiture et un cycliste.
A un carrefour, dans Urumchi, j'entends un grand bruit et le crissement de pneus. Un panier et son contenu vole en éclat...puis des cris de souffrance. Un vieil homme à vélo vient de se faire percuter au milieu d'une large avenue, sous les yeux de militaires en faction dans un check point. Personne ne bronche, pas un ne clignera un oeil, droits dans leurs bottes. Impassible!
Ce sont des passants accourus, qui grâce à leur téléphone portable préviennent les secours. La police arrive. Dix minutes se sont écoulées. Pendant ce temps, l'homme hurle sa souffrance, bouge ses mains. Personne ne tente de le toucher par mesure de sécurité. Seule une femme essaie de lui parler. Le chauffeur du véhicule jette un coup d'oeil au malheureux. Les secours ne sont toujours pas arrivé, un attroupement se forme. Que puis-je faire? Rien, sinon continuer ma route. Impuissant et choqué!

Ce soir, les périphériques, la circulation, les voitures et un homme à terre hante ma nuit.

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