
J6*
Arrivé exténué mais content de ma journée, ravi d'avoir atteint mes objectifs, excité par les aventures ou mésaventures d'une étape, m'offre une part de jouissance certaine. Mais le moment le plus exaltant de la journée reste le matin. La première heure de pédalées, quand le cerveau analyse sans la fatigue le bonheur que j'ai d'être là. La chance de pouvoir me dire: je vais d'un point à un autre à la seule force de mes mollets, sans l'aide de quiconque et profiter de chaque instant, de chaque minute pour faire ce qui me plait. A cette heure, tout est à faire: le kilométrage du jour, s'alimenter, découvrir, rencontrer, gérer. La pensée de trouver un lieu où dormir n'est pas encore obsédante. C'est souvent cette dernière obligation qui gâche un peu les derniers instants d'une journée bien remplie. L'humain a besoin d'un minimum de confort et de sécurité.

Après avoir dormi dans la nature et roulé dès l'aube, cela fait bizarre de retrouver la ville. J'en profite pour faire quelques emplettes chez les discounters locaux à la périphérie des villes. Au vue des étiquettes sur les différentes denrées, je suis quelque peu surpris du coût moindre de ceux-ci par rapport à la France. Apparemment la vie est moins chère ici. Autre particularité des magasins, tous sont agencés pour permettre à leurs clients de ramener les consignes des bouteilles, quelles soient en verre ou en plastique. Ainsi une bouteille d'eau de 2 litres coûte 19 centimes d'euro à laquelle il faut rajouter une consigne de 25 centimes. En Allemagne tout ou presque est recyclé.

Riedlingen et Ehingen sont les principales villes sur mon itinéraire ce matin. En début d'après midi j'arrive à ULM. Cette ville de plus de 120000 habitants est située sur la rive gauche du Danube.

Ulm est surtout connue pour la flèche de sa cathédrale qui est la plus haute du monde. Elle culmine à 161,53 mètres. Pour atteindre la plateforme du sommet, il faut grimper 768 marches.
Si j'avais su ça avant de partir, sûr que j'aurai bien voulu les monter.
Un bâtiment attire forcément le regard: l'hôtel de ville et son horloge astronomique. Recouvert de très belles fresques, il s'insère parfaitement dans le quartier.

Sur la place en face de l'ancien hôtel de ville (Altes Rathaus) se dresse une fontaine originale appelée fischkasten. L'ancien et le contemporain tente de faire alliance.

Un dernier regard pour constater que cette ville avec ses ponts et ses canaux, a un petit côté vénitien. Le temps est venu de prendre congé de la cité qui a vu naitre le célèbre savant et physicien Albert Einstein.
De retour à la piste, je suis surpris de constater que les cyclos se font de plus en plus rare. Je traverse de magnifiques forêts, sur des chemins parfaitement entretenus. De longues lignes droites qui pourraient devenir monotones et ennuyeuses pour qui ne saurait apprécier la solitude. Le ciel couvert ajoute un peu à l'isolement. Pour moi ce n'est que du bonheur.
Après un départ difficile il y a quelques jours, la forme est enfin là. Malgré la longue étape de ce jour, je ne ressens pas la fatigue. Pour ma 6 ème nuit dehors, je m'installe près d'un abri servant de guet pour traquer le gibier.

Alors que je m'apprête à trouver le sommeil, un bruit d'enfer me fait bondir. Tout tremble autour de moi. Ce n'est pas possible, je ne vais pas me faire écraser. Mon
cœur semble s'arrêter de battre. Un bref instant qui me semble une éternité. Non je ne rêve pas. Le bruit s'éloigne, les tremblements cessent. Je me suis installé à moins de 10 mètres d'une voie de chemin de fer. Celle- ci était cachée par une haie. Heureusement la ligne est très peu fréquentée, je ne serai plus dérangé de la nuit...
J7*
Dillingen est la première ville sur ma route aujourd'hui. Je suis parti tellement de bonne heure ce matin, que la cité est encore endormie quand j'y pénètre.

Passez la souris sur l'image
Ca me laisse un peu de temps pour m'adonner à quelques pitreries sous le regard étonné de deux bonnes soeurs.

Entre Dillingen et Donauworth la route permet quelques fantaisies. Il faut bien s'occuper dans ces longues lignes droites qui bordent les digues. Je choisis donc de faire quelques photos des cyclos que je croise ou que je m'apprête à doubler.

Ainsi je constate combien sont différents les équipements: sacoches, remorques, sac à dos, deux roues, trois roues, classiques, vélos couchés. Un couple de parisiens a choisi un attelage assez encombrant, un tandem couché plus une remorque. Ca ne doit pas être toujours facile de circuler avec un tel attelage.

Située sur la rive droite du Danube, je choisis un moment dans l'après midi pour une halte touristique à Neuburg an der Donau (Neubourg sur le Danube en français). Les villes allemandes ne manquent pas de charme et surtout sont très bien entretenues.
L'étape est longue aujourd'hui. Je laisse de côté d'autres villes qui mériteraient une visite comme Ingeststad.
Ce soir, j'opte pour mon premier vrai camping à la ferme du côté de Neustadt an der Donau. Pas vraiment parce que j'ai besoin de nouer des contacts, mais pour me débarrasser des mouches ou moustiques qui commencent sérieusement à tourner autour de ma personne. Sans doute attiré par l'odeur de transpiration qui m'assaille depuis une semaine. Vite la douche!

Ce soir, propre comme un sou neuf, rasé de frais je savoure le repas que je viens de me préparer sur mon réchaud. Je ne change pas mes habitudes, sauf peut être en ouvrant la boite de foie gras du Périgord que je transporte depuis le départ. Je tiens à la partager avec le jeune cyclo allemand qui est venu se joindre à ma table.
"Sorry, I'am vegetarian" qu'il me répond.
"C'est pas grave garçon, ce n'est pas une maladie, et j'aurai meilleur part"
Peut- être voudra t'il trinquer avec moi, j'ai deux bière bien fraîche que je viens d'acheter au gardien du camp. Pas plus, il ne boit pas d'alcool.
Une fois de plus je suis tombé sur un phénomène... Allez, je ne les emmène pas demain, je bois à ta santé.
Il me parle de sa copine qu'il va rejoindre en Autriche à vélo.
OUF! On va peut être pouvoir en faire quelque chose...
J8*
La frontière de la république Tchèque est encore loin, mais j'ai le sentiment que cette journée qui commence est la dernière en Allemagne.
Le hopfen ou houblon en français est une plante poussant autour d'un tuteur et pouvant atteindre 7 ou 8 mètres. Sa principale spécificité est de donner à la bière son goût amer et lui permettre de mousser. La cueillette mi-août ne devrait pas tarder. C'est ici en Bavière que l'on trouve parmi ces milliers d'hectares de plantations, la meilleure qualité de houblon.

Un quart de la production mondiale vient de cette région de l'Hallertau, entre Landshut et Ingolstadt.
Je pense sincèrement qu'il y a ici de quoi assouvir la soif des milliers de cyclo-voyageurs qui parcourent chaque année les pistes allemandes. Avis aux amateurs et amatrices de tartines...

Encore une ville Ratisbonne (Regensburg en allemand), encore un pont, toujours le même fleuve le Danube, et encore une église, la cathédrale St Pierre. Quel voyage!
Et pourtant moi qui n'aime pas trop les villes, j'affirme que celles situées tout au long du Danube ne manque pas d'attrait.
Entre la rivière* et moi, le courant passe bien. On a fini par s'habituer l'un à l'autre. Quelques petites querelles le soir bien compréhensives avec la fatigue. Il faut dire que supporter l'humeur belliqueuse de ses milliers de locataires à la nuit tombée n'est pas chose facile. Les moustiques sont voraces dans le coin.
D'un autre côté il faut aussi la comprendre. Durant ces quelques jours passés à flirter ensemble je n'ai pas toujours été très correct ou prévenant. Imaginez un court instant, mettre votre plus belle tenue, même le soleil a toujours été présent, et moi je fuis. Toujours plus en avant, plus vite, avec rarement quelques marques d'attentions malgré tout le charme que vous avez déployé pour vous rendre séduisante. Il y a pleins de coins à découvrir sur ce tracé, pleins de villes de monuments d'églises à visiter, de ponts à franchir, de brasseries et de restaurants typiques où déguster une spécialité locale.
Pourtant le moment est venu de nous quitter. Je la laisse filer plus au sud, vers l'Autriche et la Hongrie, tandis que je choisis une route plus au nord pour rejoindre Prague en république Tchèque.
* j'ai volontairement écris rivière et non fleuve pour éviter tout malentendus.

En délaissant le Danube, j'ai aussi quitter le balisage de la Donauradweg. Je compte franchir la frontière vers Furh im Wald.
La route est bien moins belle, les villages moins fleuris, les maisons moins coquettes et le ciel plus gris. Finalement c'est aussi bien, j'apprécie le naturel.
A Nittenau, en voulant prendre un raccourci à travers la forêt pour rejoindre Cham, je me retrouve dans un cul de sac menant à une superbe auberge perdu au milieu des bois. Demi-tour et dix bons kilomètres de plus au compteur. Je ne compte plus. Finalement, j'opte pour une option un peu plus au nord pour passer la frontière, à Holl juste après Waldmunchen.
Quelques gouttes de pluie commencent à tomber. Il se fait tard, je passerai la frontière demain matin. Comme il n'y a pas de camping à Rotz, petite commune où je décide de m'arrêter il va falloir trouver quelque chose car l'orage menace sérieusement. La patronne du garage à la sortie de la ville ne se montre pas très optimiste sur mes chances de trouver un abri pour la nuit.
Les fins de journée sont souvent le moment que choisisent les footeux pour leur entraînement. J'ai déjà eu l'occasion lors de mes voyages d'expérimenter l'accueil de ces sportifs. C'est donc serein que je me dirige vers le complexe sportif du lieu. Un jeune homme équipé de béquilles et donc privé momentanément de son loisir préféré sera mon guide. Ne pouvant rien pour moi, il décide d'aller voir le "boss". Celui-ci stoppe la partie et me dirige vers les cours de tennis. Un bref entretien avec la maîtresse des lieux et me voilà pris en charge. La dynamique dirigeante m'invite à m'installer comme je le désire sur une pelouse soigneusement entretenue à côté des cours. Elle retourne aussitôt finir son double mixte avec son partenaire qui piaffe d'impatience. Complètement déconcentrée, elle perd son match.

Loin de m'en vouloir, elle m'invite à utiliser les installations sanitaires du club pour mon plus grand bonheur. Douché et changé, nous finissons la soirée en compagnie de son partenaire du jour et de ses adversaires, dans une très bonne ambiance. La tireuse à bière est sérieusement mise à contribution.
Tous me quittent en me souhaitant bonne route pour la suite de mon périple. La pluie tombe drue mais ce soir je dors à l'abri sous le préau du complexe tennistique.

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