
Réveillé
à cinq heures quinze avec le soleil, je me hâte de démonter la tente,
ranger mes affaires et malheureusement réveillé le gardien pour l'ouverture
du portail du camping. Celui-ci sans grincher, après avoir encaisser
mes vingt dirhams me souhaite un bon voyage.
Je rejoins à pied le route goudronnée
distante de cinq cent mètres en poussant mon attelage. J'enfourche
ma bicyclette. J'ai tout de suite la désagréable sensation que décidément
les débuts d'étape sont difficiles pour mes muscles endoloris. Une
impression de tirer un boulet me met immédiatement dans la zone rouge.
Non se n'est pas possible d'être si minable ce matin. Un bruit inhabituel
attire mon attention. Je descends de ma machine et constate aussitôt
le problème. La roue de ma remorque totalement à plat freine mon avancée.
Je décide de simplement regonfler le pneu avant d'opter pour une réparation
complète au cas où la pression ne tiendrait pas. Je me remets en selle.
Tout de suite la monture semble
plus alerte, la crevaison, la seule de ma randonnée s'avérera une
crevaison lente qui me contraindra à regonfler chaque matin le pneu.
Je traverse le petit village d'Amezrou qui jouxte la ville de Zagora
au sud. Quelques kilomètres plus loin, Tamegroute cette localité est
célèbre par sa bibliothèque coranique qui recèle plus de quatre mille
ouvrages sur des sujets aussi divers que le droit coranique, la médecine,
l'astrologie, l'histoire, la poésie, la théologie et l'interprétation
du coran. Faute de temps pour, ne serait-ce consulter que quelques-uns
de ces écrits, je file vers une autre curiosité locale. A sept kilomètres,
Tinfou, n'est pas un véritable village mais plutôt un lieu dit.

Il n'y a que les dunes de sable
et deux hôtels. De nombreux touristes viennent de Zagora ou de plus
loin admirer les premières dunes du Sahara marocain. Elles n'ont pas
grand intérêt et sont envahies par des touristes déposés à leurs pieds
et qui repartent à l'aventure après s'être fait photographier au cœur
du désert. Hum ! Ça me fait penser à un grand bac à sable au pied
des hôtels.
En ce moment le vent est défavorable.
Je croise une cohorte de plusieurs dizaines d'ouvriers apparemment
des noirs africains, suant sang et eau pour ouvrir une tranchée de
plusieurs centaines de mètres. Je ne peux m'empêcher de faire la comparaison
entre ce tableau et des photos de bagnards. Et ce, juste en face de
ce lieu de villégiature que représentent les dunes de Tinfou. Là où
chez nous un conducteur de travaux public ouvrira seul dans la journée
cette tranchée, plusieurs hommes trouveront là l'occasion de nourrir
leur famille au prix d'heures harassantes passées au soleil. La mécanisation
n'a pas encore vraiment franchi l'atlas.
Quelques kilomètres après Tinfou,
la route s'éloigne du Drâ. Elle franchit les crêtes tranchantes du
djebel Bani et redescend dans les plaines désertiques du désert de
la Hammada .
Tagounite est en vue. Je prends tout mon temps pour traverser ce village,
pour profiter une fois encore du spectacle de la rue. La population
à ma grande surprise à l'air plus occidentalisé. Je me surprends même
à regarder des jeunes filles qui ont délaissé leur éternel tenue noire
qui les drape de la tête au pied. Certaines n'ont même pas de foulard
sur la tête, incroyable ! Elles se rendent à l'école en compagnie
d'autres garçons. L'une d'elle s'arrête à l'épicerie où son propriétaire
après avoir honoré ma commande d'un pain tout chaud m'a installé un
siège. Elle achète quelques bonbons et s'empresse de les partager
avec ses amis filles et garçons confondus. Ais-je perdu le nord ?
Trente kilomètres me séparent
de ma destination finale. Bien qu'il fasse déjà chaud je ne me presse
pas, voulant profiter de cette dernière étape dans la direction du
sud. Les quelques centaines de mètres qui composent l'ascension du
Tizi-Beni-Selmane, sept cent quarante sept mètres d'altitude sont
avalés sans coup férir. La descente me mène tout droit à la localité
d'Oulad Driss qui dans ce désert du bout du Maroc s'avère relativement
verte.

Plus que cinq kilomètres et
la route goudronnée cédera la place à l'immensité du désert. J'atteins
M'Hamid la limite extrême de la civilisation marocaine. C'est la fin
des routes asphaltées des lignes électriques et téléphoniques. Que
l'on sorte par les ruelles du Ksar ou les sentiers de la palmeraie,
il y a toujours un mur, une dernière haie, et puis tout à coup plus
rien. Le désert uniquement, le Sahara, le plus grand désert du monde
! Lahbib Naami le patron de l'auberge
Sahara me confirme que ma nuit sur la terrasse me coûtera la modique
somme de dix dirhams à laquelle je devrais ajouter cinq dirhams pour
bénéficier de la douche. Une nouvelle nuit sous dix mille étoiles
pour dix balles. Pas la peine de négocier à ce tarif.
Après une sieste réparatrice
à l'ombre de la khaïma la tente nomade, dressée devant l'hôtel j'interpelle
un jeune européen qui sort de la salle à manger. Nous bavardons un
bon moment, il me confie son désœuvrement dans ce bled perdu.
Franck habite en Bretagne et effectue un stage dans le cadre de ses
études. Il est plus particulièrement chargé de la création d'un site
sur Internet afin de promouvoir le tourisme dans la région. Las des
moyens insuffisants que l'on met à sa disposition, il constate même
l'absence d'ordinateur. Découragé, il pense abréger son séjour et
essayer de trouver sur Ouarzazate les moyens matériels de s'acquitter
de sa tâche.
Un bruit de klaxon annonce l'arrivée
d'un véhicule. Un couple de jeunes touristes français doit amener
Franck à Zagora. Je décide d'aller manger à l'auberge Al Khaima qui
est conseillé par le guide " le petit futé " Pour m'y rendre, je traverse
le pont qui part sur la gauche à l'entrée du village et je me laisse
guider par des panneaux sans tenir compte des distances qui me paraissent
loufoques.

Arrivé devant l'auberge je scrute
l'intérieur de la tente berbère qui se trouve à contre jour. Au fond
une jeune femme me sourie et me salue. Française ? Français ? Oui
de Lyon. Moi aussi. Routarde ayant déjà pas mal voyager : Côte d'Ivoire,
Maroc une première fois, Tunisie, Asie toujours sac au dos et transports
locaux, bus, train. Elle est un peu dubitative en pensant qu'on peut
avancer de plusieurs dizaines de kilomètres quotidiennement à la force
du jarret et sous la chaleur. Son compagnon arrive et lui explique
que la méharée à dromadaire est bientôt prête.

Ils partent pour trois jours
dans le désert seul avec un guide et un chameau. Ne voyant pas l'hôtelier
arrivé je décide de retourner à mon campement. De toute façon la faim
attendra bien ce soir. Je pars maintenant dans la direction opposée,vers
le château d'eau. Quelques centaines de mètres plus loin commencent
les premières dunes. Je suis accompagné par trois gamins qui ne me
lâcheront pas mais j'ai désormais l'habitude. Nous passons devant
un campement et prenons une photo des premières dunes. Là c'est le
désert qui commence.

Je ressens davantage l'émotion
du désert qu'à Merzouga. Je ne suis pas déçu même si les dunes sont
moins impressionnantes. Le responsable du campement m'invite sous
son abri de terre pour le traditionnel thé. Après m'être déchaussé,
je rentre et constate immédiatement une fraîcheur bienfaisante. Le
thé est très convivial et le propriétaire est fier de me montrer l'album
photo des clients qu'il a emmené dans le désert. Il sort une carte
de France et je lui indique Bourgoin - Jallieu. Mon village Saint
Alban de roche n'étant pas précisé. Son regard est songeur, peut être
que lui aussi rêve d'un autre univers fait de montagnes boisées, de
vertes prairies ou d'un océan tout bleu.
Je le quitte en le remerciant
chaleureusement pour son accueil et me voilà sur la piste du retour,
toujours accompagné de mes sangsues. Après avoir espéré quelques dirhams
pour cette balade dans le désert, mes guides me saluent gentiment,
pas rancunier. Je suis lessivé. Je retourne m'allonger sous la tente
désormais à l'abri des rayons ardents du soleil. Lahbib m'offre gracieusement
un coca et me confirme que la route d'Agdz à Tazenakht n'est pas goudronnée
sur une quinzaine de kilomètres. Pour éviter une rallonge de cent
bornes j'opte de passer cependant par cette piste quitte à pousser
mon vélo.
Ce soir le ciel étoilé est magnifique.
Comme je suis seul dans l'établissement je ne déménage pas mes affaires
sur la terrasse comme prévu, mais squatte l'épais matelas sous la
grande tente qui m'a servi de lieu de repos dans la journée. La nuit
sera douce.
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