
Levé à
six heures, nous quittons l'habitation d'Abdallâh et regagnons son
épicerie. Après avoir bu deux cafés il me donne une bouteille d'eau
minérale et une de coca et me souhaite bonne route. Je le remercie
très chaleureusement pour son accueil non intéressé. Je me souviendrais
longtemps de cette première nuit chez l'habitant.
Me voilà reparti pour une de
mes plus courtes étapes, moins de soixante kilomètres. Après Touroug
le paysage est désertique. Alors que je roule tranquillement me remémorant
les divers moments de ma première semaine de randonnée, ma première
surprise de la journée traverse nonchalamment la route sous la forme
d'un petit troupeau de dromadaires.

Les premiers dromadaires de mon séjour, ils sont complètement
isolés dans ce paysage totalement vierge de toutes habitations. Plus
loin c'est la vision d'un homme qui attire mon attention. Agenouillé
sur le rebord d'un puits il lance un seau au fond attaché à une corde,
puis il le ramène à lui. J 'hésite à interrompre ma progression mais
finalement freine et me dirige vers le puits distant d'une centaine
de mètres de la route. Le plaisir de communiquer avec cet homme, seul
au milieu de ce désert est trop fort. Je pousse mon attelage dans
le sable et les cailloux et parviens jusqu'à lui. Je suis tout d'abord
surpris qu'il parle le francais. Il est accompagné de sa femme qui
détourne la tête dès que je la regarde. Elle est penchée sur ses récipients
de plastique qu'elle remplie avec le seau que son mari lui passe.
Puis il remplit une rigole en béton qui part du puits et qui mesure
environ trois mètres.

Je comprends l'utilité de son travail quand je suis attiré
par le mouvement d'un troupeau de dromadaires. Ceux-ci viennent s'abreuver
dans la rigole remplie d'eau. Je profite de ce que leur attention
est détournée par leur envie de boire pour les figer sur la pellicule.
Je demande également à mon nomade la permission de le prendre en photo.

Celui-ci accède à ma demande et s'inquiète même de la position du
soleil et me conseil sur l'angle idéal pour le photographier. Je le
remercie et lui tends deux barres de céréales sorties de mes poches
de maillot. Je lui souhaite une bonne continuation et me remercie
en me souhaitant à son tour un bon voyage. Inch'Allah.
Après vingt minutes de désert
sans voir personne un premier village se découpe au bout de la ligne
droite. D'autres suivent. Tout le monde travaille à cette heure matinale
pour sans doute bénéficier de la fraîcheur du matin. Les jeunes partent
à l'école comme je l'ai déjà vu dans les villes comme Marrakech ou
Ouarzazate. Toujours à bicyclette. Toujours avec le même état d'esprit
de redoubler celui qui vient de les dépasser par surprise. Malheureusement
pour eux, ils ont affaire à plus entraîné qu'eux et leur matériel
est moins performant. Dépités, je les entends maudire leur mécanique
ou bien peut être celui qui a osé les défier.
Je m'amuse à contempler le manège
de ces chevaux ou taureaux qui tournent inlassablement attachés par
une corde pour écraser le blé. Ceux-ci sont encouragés par deux jeunes
qui n'hésitent pas à donner de la voix ou de la badine. Les femmes
coupent à la faucille la luzerne. Toute cette vie au bord des routes
contraste avec les terres désertiques que j'ai traversées avant et
après Touroug.
Erfoud est en vue. Je me souviens
de mes lectures lors de la préparation de mon voyage qui présentait
cette ville de dix mille habitants comme étant sans grand intérêt.
Elle a l'allure d'une cité administrative avec de grandes avenues
bordées de tamaris. A l'origine Erfoud était une garnison française,
installé en mille neuf cent dix sept afin de " pacifier " le sud est
marocain. Son principal intérêt est d'être le point de départ idéal
pour des excursions dans le désert autour de Merzouga. Le développement
du tourisme dans la région a été accompagné par l'affluence de colporteurs
de rabatteurs de faux guides en tout genre. Soyons méfiant la frontière
algérienne n'est pas loin et j'ai entendu dire que certains touristes
se sont fais piéger dans des situations assez compliquées, perdus
dans le désert par des faux guides peu scrupuleux.
Je n'ai aucun mal à trouver la
place des Far qui est le lieu de rassemblement des différents moyens
de transport, taxis collectifs entre autres qui mènent à Merzouga.
Bien que l'heure soit matinale une certaine agitation y règne déjà.
Je repère tout de suite les véhicules de luxe tout terrain servant
à véhiculer les touristes des agences et les taxis collectifs qui
sont principalement utilisés par les locaux désirant se rendre à Merzouga.
Egalement facilement repérable nos fameux rabatteurs, qui plus que
de vous obliger à prendre tel transport, sont plus enclins à vous
conseiller une auberge 'super accueillante et pas chère " à Merzouga.
Du style 'auberge berbère " comme ils le vantent, ils sont surtout
intéressés par la commission qu'ils touchent par les propriétaires
de ces auberges. Avec un peu de fermeté il n'est cependant pas trop
difficile de leur expliquer que vous avez déjà réservé.
Il est onze heures à ma montre
et le départ est prévu pour midi. Le soleil envoie ses rayons ardents
sur ma peau non protégée par ma crème anti -uv. Je sens déjà cuire
mon épiderme. Je profite de ce laps de temps pour partir visiter la
ville et principalement le souk qui jouxte la place. Il n'est pas
aisé de se mouvoir dans ces ruelles étroites avec mon attelage. Le
marché est surtout fréquenté par des marocains du cru, peu de touristes
flânent devant ces étalages de victuailles.
Je retourne sur la place des
Fars et rencontre le couple de cycliste dont quelques touristes m'ont
parlé depuis plusieurs jours. Ceux ci sont autrichiens et ont prévu
sept semaines de voyage. Nous discutons en anglais. J'obtiens de leur
part quelques renseignements sur une destination qui me tient à cœur
la Syrie et la Jordanie, deux pays qu'ils ont parcouru en vélo trois
années auparavant. Ils se rendent également à Merzouga. Deux taxis
se rendent quotidiennement à Merzouga. Le premier celui de mes collègues
cyclistes part dans cinq minutes. Nous nous quittons en nous souhaitant
" Good luck "
Je demande à un jeune juché sur
le toit du véhicule et qui semble être le bagagiste de service quand
le second part. Il me répond avec un aplomb extraordinaire dans cinq
minutes. En faite j'attendrais deux heures. Deux longues heures à
cuire au soleil. Mon impatience exacerbée n'aura d'égal que la nonchalance
des marocains du coin qui se rendent eux aussi dans le désert. Eux
restent imperturbables et ils semblent ne pas comprendre mes allées
et retours.
Enfin l'heure du départ est arrivée.
La route est défoncée mais celle-ci cède bien vite la place à la piste.
Elle s'avère finalement presque plus confortable que la route truffée
de nids de poule. J'essaye de distinguer les premières dunes à travers
des vitres tellement crasseuses qu'elles ont du mal à laisser filtrer
la lumière du jour. Tout tremble à l'intérieur de l'habitacle, rien
ne semble fixé. Le conducteur roule à la limite de ce que peux encore
supporter les amortisseurs. Comment des véhicules dans cet état peuvent
ils encore rouler après avoir fait plusieurs fois le tour du compteur
?
Nous longeons dorénavant la face
ouest de l'erg Chebi. De nombreux établissements pour la plupart des
auberges-restaurants sont disséminés devant ce décor formé par ces
dunes de sable. Ainsi la Gazelle, Yasmina, la Caravane, l'Etoile des
dunes, les Dunes d'Or autant d'enseignes aux noms si évocateurs. J'ai
choisi mon court séjour à l'Atlas du Sable. Cet établissement est
tenu par Ali el Cojo ce qui en français signifie handicapé. En effet
il se déplace appuyé sur des béquilles, sa jambe droite étant amputée
au niveau du genou. Il fait tout son possible pour rendre service
à tous ses visiteurs. Le soir au dîner le couscous n'étant pas encore
tout à fait prêt, il me propose comme plat principal la spécialité
maison en attendant le couscous et cela sans supplément.
Auparavant dans l'après midi,
j'ai admiré les fameuses dunes de Merzouga.

Avec il ne faut pas le cacher une certaine déception. Non pas que
ces dunes ne soient pas à la hauteur de leur renommées, mais plutôt
une certaine incapacité à définir pourquoi une chose,un événement,
un lieu en l'occurrence tant désiré est devenu réalité. J'ai tellement
rêvé du désert que maintenant que je l'ai devant moi il me manque
quelque chose. Le traverser, le vivre, le côtoyer. Impossible avec
le moyen de locomotion que j'ai choisi. Je me fais la promesse qu'un
jour je reviendrais pour, non pas l'admirer telle on admire les formes
d'une jolie femme, mais de vivre avec lui quelques jours. Ce vœu se
réalisera-il ? Dieu seul le sait. Tout ce que je souhaite c'est que
je ne veux pas passer par une organisation. J'aurais l'impression
de vivre la même aventure que beaucoup
Ce soir je dors sur la terrasse de l'hôtel, et sous les étoiles
je me pose la question de savoir si demain je reste à Merzouga pour
partir marcher dans les dunes ou si je continue ma route.
Comme d'habitude je me dis que la nuit porte conseil !
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