
J'ai
hâte de quitter Tazenakht. Pourquoi ? Sans doute le triste état de
la chambre qui ne donne pas envie de faire la grasse matinée. Mais
plus sûrement rien n'incite à la visite de la ville. Aussi c'est sans
nostalgie que je quitte cette localité qui ne me laissera pas un souvenir
impérissable.
L 'étape du jour ne doit pas
poser de difficultés majeures. Pourtant ce matin la première surprise
vient de la température qui s'affiche nettement à la baisse. Le départ
matinal à six heures quinze n'explique pas tout, le thermomètre chute
au fur et à mesure que je regagne le haut Atlas. Bien que le soleil
brille dans un ciel tout bleu ça caille vraiment. N'y pouvant plus
je m'arrête une première fois, fouille dans mon sac, y extirpe mes
gants d'hiver. Me voilà reparti. Ce n'est pas suffisant je dois stopper
à nouveau car j'ai les bras gelés. Je troc mon maillot manches courtes
crasseux contre un maillot manches longues immaculé et qui sent bon.
Malgré cet équipement j'ai presque envie de finir ma transformation
en enfilant les jambières car j'ai la chair de poule. L'effort pour
grimper le Tizi-n-Ikhsane à mille six cent cinquante mètres, ne parviens
pas à me réchauffer. Un vent glacial balaie le sommet.
Un vieil homme me fait signe
de m'arrêter. Cette fois je n'hésite pas, je descends du vélo que
je hisse jusqu'à la demeure du vendeur de minéraux. Le verre de thé
brûlant se tend vers moi une première fois. La chaleur du breuvage
réchauffe mon organisme. Un second puis un troisième verre me sont
offert par cet homme dont le seul plaisir est de faire un brin de
causette avec un inconnu. A chaque tournée il repose la théière sur
son lit de cendre formée par la combustion de branche de lavande.
Je profite de cet arrêt pour rajouter une couche sous mon maillot
et tend à mon hôte un maillot qui allègera mon sac.
Me voici reparti dans la descente
glaciale. Je me dis que ce n'est pas possible de connaître un écart
de près de vingt degrés en deux jours. Le vent est défavorable ce
matin, mais j'ai décidé de lui faire front sans broncher. Arc bouté
sur mon cintre j'avance mètre par mètre. Je n'ose regarder les bornes
kilométriques qui défilent trop lentement, mon regard se détourne
à chaque fois que j'en croise une. Je préfère fonctionner au temps
et laissé passer chaque heure avant de faire les comptes. Quinze,
seize kilomètres par heure pas davantage.
Taliouine est en vue. Un peu
de verdure dans ce monde de désolation. Cette végétation abondante
contraste avec l'aridité des montagnes aux alentours.Taliouine s'étend
le long d'un oued. Elle est la capitale marocaine du safran. Ce petit
bulbe fragile aux multiples usages, en pharmacie, en cuisine ou en
cosmétique fait la fierté de ses habitants. Malheureusement je n'aurais
même pas la satisfaction de changer mes espèces en francs francais
contre des dirhams, car la seule banque du village est fermée et d'autre
part celle-ci ne fait pas le change.
Je poursuis donc ma route sur
Aoulouze distant de trente trois Kilomètres. Le vent s'est adouci
et à décidé de faire momentanément la paix. J'en profite pour apprécier
davantage le paysage.

Une photo s'impose. En effet des chèvres grimpent dans les arbres,
des oliviers pour la circonstance, voilà un spectacle peu banal. Arrive
à grandes enjambées le berger qui monnaye le droit qu'il m'octroie
de prendre ses chèvres en photo. Je lui affirme n'avoir ni dirhams
ni bonbons ni cigarettes ni quoi que ce soit. De toute façon si je
devais donner quelques choses se sont aux artistes, les chèvres en
l'occurrence que je le devrais. Pour qui se prends t-il celui là ?
Maquereau !
Le panneaux indiquant la localité
apparaît.Ma première préoccupation est de changer des espèces. Hélas
ici aussi la banque est fermée. Je n'ai pas un sou en poche, pas de
moyen de me procurer des dirhams. En quittant la banque je tombe nez
à nez avec un homme à qui je demande si une autre agence est éventuellement
ouverte. Sa réponse négative n'engendre pas chez moi un réel optimisme
quant à la réussite hypothétique de me procurer de quoi me payer à
manger et à me loger. D'autant plus que l'hospitalité ne semble pas
la qualité première des habitants de la région. Depuis une demi-heure
que je tourne dans la petite ville aucune proposition, ni même pour
seulement boire un thé, n'affluent.
La bonne étoile qui me protège
dans mes moments de doute s'éclaire soudain. Mon homme pharmacien
de son état, me propose de l'accompagné à son officine et calculette
en main me converti mes francs français en espèces locales sonnantes
et trébuchantes. Alors que je m'attends à passer pour le pigeon de
service qui se fait avoir avec un taux de change à un cours historiquement
bas, j'ai l'agréable surprise de constater que l'homme arrondi au
chiffre supérieur. Mieux qu'à l'aéroport en arrivant au Maroc. Décidément,
je ne peux m'empêcher de penser que certain commerçant dans notre
pays devrait s'inspirer de ces petits services supplémentaires, rendus
à des gens de passages et ce sans arrière pensée quant à faire un
quelconque bénéfice.
N'espérant plus trouver un logement
chez l'habitant,je me dirige vers l'hôtel aperçu en arrivant. Pas
de difficulté pour trouver une chambre libre,les touristes ne sont
pas légion dans ces contrées. Cette particularité aide lorsque je
veux négocier le prix qui soudainement et sans la moindre difficulté
s'affiche à la baisse. La visite de la ville s'avère décevante. Les
autochtones ne sont pas franchement attirés par une relation avec
le voyageur de passage.
J'erre dans les quelques ruelles
qui se découvrent perpendiculairement à la route principale, sans
leur trouver un quelconque intérêt. Les gens du crû paraissent rustres.
Finalement je perçois une certaine animation un peu plus tard mais
bizarrement, pas dans les rues mais dans les cafés,les échoppes, les
garages. La retransmission du match de football entre le Maroc et
les frères ennemis d'Algérie réveille en eux des sentiments plus forts
que ceux généralement constatés entre deux équipes de supporters.
Cette journée peu palpitante
au demeurant, en précède une qui s'annonce autrement plus ardue avec
notamment le passage obligé de la chaîne montagneuse de l'Atlas et
l'ascension du Tizi-n-Test à deux milles cent mètres d'altitude.
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