
Finalement
je me réveille à cinq heures et en moins de quinze minutes ma décision
est prise. Je poursuis ma route direction Alnif. Pour cela il ne faut
pas que je traîne car le taxi collectif qui doit ramener les naufragés
du désert passe derrière l'auberge à six heures.
Je me lève en même temps que
le soleil apparaît derrière les dunes. Je contemple un instant le
croissant de l'astre solaire qui se découpe sur l'horizon. Quelques
minutes plus tard une boule orangée toute ronde illumine le ciel.
Je rassemble mes affaires, règle ma note. Le gardien m'indique l'endroit
où attendre le taxi.
Un véhicule se présente mais
il me dit que ce n'est pas celui que j'attends. Juste derrière suit
un autre taxi. Il me confirme que celui là est le bon. Je fais signe
au chauffeur qui stoppe à ma hauteur. Il commence sa journée par des
acrobaties sur le toit de son véhicule pour arrimer mon vélo et ma
remorque. Me voilà installé à l'arrière du véhicule qui est le même
que celui de la veille. Je me dis que ce chauffeur doit connaître
toutes les pistes des alentours car aujourd'hui je veux rejoindre
Rissani et non-Erfoud pour gagner une vingtaine de kilomètres sur
l'étape du jour. Nous refaisons à l'envers le chemin de la veille.
Nous roulons depuis plus d'une heure. J'ai un petit doute sur la destination
finale car je pensais que l'itinéraire était plus court. Il me semble
reconnaître des détails aperçus la veille. Le doute n'est plus permis,
le gardien de l'atlas des sables m'a mal renseigné et nous retournons
à Erfoud. Le panneau indicateur ERFOUD me confirme la méprise. Je
récupère mon matériel en fulminant car je vais être contraint de rallonger
l'étape de vingt kilomètres.
Aucune ville entre Rissani et
Alnif ma destination d'aujourd'hui. Je vais devoir rouler plus de
cent dix bornes dans un désert de rocaille.

A Rissani à l'intersection
qui mène à Alnif le panneau indique bien Alnif quatre vingt dix kilomètres.
Un policier un peu zélé m'apostrophe et me demande mon passeport.
Intérieurement je boue un peu car je suis obligé d'ouvrir mon sac
et de rechercher dans mes affaires le précieux document. Le fonctionnaire
le consulte dans tous les sens donnant à sa mission un caractère particulièrement
important. Il compare maintenant l'homme bien rasé et cravaté de la
photo, avec l'énergumène barbu qu'il a en face de lui. Il me balance
une plaisanterie sur le port de ma cravate et me rend mon passeport
en me souhaitant un bon voyage au maroc.
Je fais le plein d'eau à la station
service toute proche et m'élance sur cette route qui traverse un désert
de pierres pendant deux cent cinquante kilomètres. Pendant deux ou
trois heures je ne rencontrerais que deux taxis et un groupe de 4x4.
Que dire de cette étape au profil si monotone d'apparence ? Au premier
abord je pensais qu'elle serait inintéressante. Mais c'est justement
parc qu'elle se caractérise de la sorte qu'elle m'intéresse. Elle
me permet de mieux me connaître dans une situation de solitude. Si
je casse une pièce de ma bicyclette je n'ai plus qu'a réparer où attendre
peut être plusieurs heures le passage d'une voiture. Elle a valeur
de test sur mon moral et ma volonté à passer quelques heures sans
assistance. De faite tout se passe bien. Ma bonne condition physique
me permet de ne pas souffrir de crampes où d'autres maux qui rendrait
ma progression difficile. Cependant mon estomac me rappelle que ce
matin je suis parti sans prendre de petit déjeuner. Je crains un peu
un coup de fringale et mes poches ne contiennent que deux barres de
céréales.
Au soixante quinzièmes kilomètre
au beau milieu de nul part un petit village Mecissi se présente à
quelques centaines de mètres sur la droite. Il n'est pas raccordé
à la route par du goudron. Seul bâtiment au bord de la route, un café
restaurant permet aux gens de passage de se sustenter. Je m'y arrête
pour une omelette aux olives et un coca. Apparemment les maîtres des
lieux ne semblent pas avoir une clientèle très importante. Ils viennent
faire un brin de causette avec celui qui sera peut être le seul client
de la journée. Pourtant ce lieu doit accueillir de temps en temps
les fidèles des randos à motos ou les passionnés du Paris-Dakar comme
l'atteste les photos affichées dans le local. Après
m'être restauré, je reprends la route pour les quarante derniers kilomètres.
Le paysage ne change pas. Toujours de longues lignes droites interminables
dominées sur ma droite par les collines arides du jbel Ougnat. Les
roches noires restituent la chaleur absorbée et je bois souvent à
petites gorgées pour ne pas me déshydrater.
Enfin je parviens à la petite
palmeraie d'Alnif et son village. Il est deux heures de l'après midi,
une certaine effervescence règne sur la place. Deux petits hôtels-restaurants,
la Gazelle du sud et Le restaurant Bougafer se font face. Après la
lecture de mon guide, le second semble plus conseillé disposant de
douches individuelles, ce qui est agréable après une longue route
dans le désert.
Finalement il s'avère qu'une
inversion a du se produire dans l'édition de mon guide, car en lieu
et place des douches se tient un simple lave main d' où ne coule pas
la moindre goutte d'eau. Peu pratique pour se débarrasser de la poussière
du désert et de la sueur je décide de descendre d'un étage et repère
les toilettes communes du restaurant. C'est donc au milieu de dizaine
de touristes que je fais une brève et sommaire toilette me promettant
d'y revenir quand tout ce beau monde aura repris la route. En effet
ces deux hôtels restaurants ne font le plein qu'à midi, n'étant juste
qu'une étape culinaire entre Zagora et la vallée du roi d'un coté
et Merzouga et ses dunes de l'autre.
Je prends possession de ma chambre
où la literie ne doit pas être changée systématiquement. Ce soir je
me loverais dans mon duvet.
Une semaine que mon voyage a
commencé. Un premier bilan s'opère dans ma tête. Du coté physique
tout va bien je n'ai aucun bobo. L'itinéraire étudié et tracé depuis
plusieurs semaines s'avère judicieux. J'ai même eu l'occasion de prendre
un peu d'avance pour la deuxième semaine grâce à des prévisions prudentes.
Je profite d'un peu de temps libre pour écrire deux cartes postales
qui plusieurs semaines après leur envoi ne sont toujours pas rendues
à leur destinataire.
Un groupe d'une quinzaine de
motards fait le spectacle sur la place. Après s'être restauré, ils
enfourchent leurs monstres d'acier devant les regards envieux de la
jeunesse locale. Un guide essaye de rassembler pour le départ une
horde de touristes indisciplinée dont la frénésie d'achat n'a d'égal
que le ridicule de leur accoutrement. Le car enfin quitte les lieux,
laissant aux riverains goûter à la tranquillité. Les commerçants rentrent
dans leur échoppe les gadgets et autres souvenirs typiques. Le village
retrouve son calme et son authenticité, et moi je me retrouve le seul
étranger.
Un peu plus tard dans la soirée
arrivent deux jeunes allemandes qui font également étape pour la nuit.
La nuit est tombée, je quitte mon refuge pour aller manger dans un
petit resto que j'ai repéré cette après midi.
A peine parvenu sur la terrasse
je suis invité par un jeune marocain à m'asseoir à sa table. Je devine
aussitôt qu'il a envie de faire la conversation. Je suis surpris de
constater que son français est bien au-dessus de la moyenne. Il commande
un thé à la menthe et me propose de le partager. Un ami vient le rejoindre.
La discussion tourne principalement sur la France dont ils sont très
curieux de tout connaître. Le premier suit des cours de droit en francais
et le second est spécialisé dans l'informatique. Ils me font part
de leurs difficultés à trouver un emploi et leur mal de vivre dans
un environnement qui n'encourage pas l'initiative. Ils veulent vivre
comme des jeunes de leur temps et rejettent beaucoup de principes.
Ils n'hésitent pas à essayer de trouver de l'alcool fumer un joint,
faire la fête pour oublier leur quotidien. Ils veulent me montrer
qu'ils connaissent bien la France. Ainsi me récitent- ils des vers
de Victor Hugo, citent des communes de notre région : Chamonix, Annecy
dont ils connaissent par cœur l'altitude le nombre d'habitants… Au
moment de commander mon repas l'un d'eux m'invite à venir manger chez
lui, et demande à son camarade de nous rejoindre à son domicile.
Nous quittons la table et nous
enfonçons dans la nuit. Les groupes électrogènes qui fournissent la
lumière dans le village se mettent en marche. Le bruit de ces machines
trouble la tranquillité des riverains. Nous pénétrons au domicile
de mon hôte qui appelle sa sœur. Il lui fait part de notre visite.
Nous ressortons. Il m'explique qu'en attendant que le repas soit prêt,
il veut me faire visiter le cœur de son village, ainsi que l'école
où il allait quand il était plus jeune.
Une demi-heure plus tard nous
retournons chez Youssef. La petite sœur a bien travaillé. La pièce
est bien rangée, les tapis brossés. Toute la famille nous rejoint.
Le père sert le traditionnel thé à la menthe. Ils veulent tout savoir
sur ma famille, mon mode de vie, mon métier. Autant de questions aux
qu'elles je réponds avec patience. La grande sœur installe vers les
hommes le plat de couscous. Ce sera au tour de la gente féminine quand
nous aurons terminé de manger. Je constate que mon arrivée a du obliger
cette famille à confectionner en toute hâte un plat digne de leur
invité. Pas de viande, et peu de légume garnis le plat. Cependant
l'hospitalité reste une tradition bien ancrée.
Mes deux amis se proposent pour
me raccompagner à l'hôtel tout en regrettant de ne pas m'avoir connu
plus tôt dans la journée. Nous échangeons nos mails, et nous souhaitons
bonne chance.
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