
Levé
à six heures pour prendre le bus de sept heures, je n'ai pas le temps
de déjeuner. Pourtant la journée s'annonce longue ? Très longue. En
outre une part d'incertitude reste ancrée dans ma tête. Je me pose
depuis des mois la question de savoir si la route d'Agdz à Tazenakht
est praticable. Je n'ai jamais pu avoir une réponse fiable, tout le
monde contredit tout le monde.
L'heure est à rassembler mes
affaires,à monter mon vélo et la remorque sur le toit du bus et bien
sûr de négocier le prix du trajet surtout avec mes bagages. A l'heure
précise le chauffeur quitte la place de M'Hamid, son véhicule plein
de personnes se rendant à Zagora.
Tout au long du parcours le bus
s'arrête pour prendre d'autres passagers parfois dans des endroits
insolites en plein milieu de nul part. Les allées ne tardent pas à
être obstruées. Il ne faut pas regarder à la sécurité. Il règne une
ambiance bon enfant, les hommes n'arrêtant pas de vociférer. L'arrêt
à Zagora se prolonge inconsidérément. Je consulte ma montre et me
rends bien compte que cette étape sera difficile à tenir dans les
temps. Devrais-je pour la première fois dormir dans la nature. Autre
difficulté et de taille un vent violent souffle emportant tout sur
son passage y compris les étalages des commerçants obligés de lester
tout ce qu'ils présentent. Des nuages de poussière assombrissent l'atmosphère.
Sur la route entre Zagora et
Agdz j'essaye de déterminer le sens du vent, savoir si le Dieu Eole
sera avec moi aujourd'hui est très important. A l'intersection de
la route de Tazarine je reconnais le café restaurant de Mohamed où
j'ai dormi deux jours plus tôt.A partir de là je suis en terrain de
non-connaissance et ce pendant vingt huit kilomètres. La casbah de
Tammnougalt se dresse sur la droite cinq kilomètres avant Agdz, c'est
ici que furent tournées de nombreuses scènes du film Un thé au Sahara.
Le bus se gare enfin sur la place
du marché. Je récupère ma bicyclette et ma remorque et je m'installe
à la terrasse d'un petit resto pour dévorer un tagine. Celui de la
veille est déjà loin et je n'ai encore pas commencé ma journée de
route.
Il est treize heures quand je
me mets en selle. Malheureusement le vent contraire freine ma progression.
Seulement quatorze kilomètres dans la première heure. La route bien
que parfaite grâce à l'enrobé récent ne me permet pas d'accomplir
une distance conséquente à cause du vent. Tout à coup la piste succède
à l'asphalte.

L'habitude de la pratique du
vtt est un atout non négligeable car l'instabilité dans les ornières
de sable oblige à une séance d'équilibre. Parfois je suis obligé de
déchausser avant de tomber. J'engage une véritable partie de gymkhana
avec des cailloux acérés qui ne manqueraient pas de couper mes pneus.
Le vent moins violent dans ces barrages me permet de goûter à une
relative trêve. Je croise le conducteur d'une petite camionnette qui
m'annonce encore douze kilomètres de piste. De toute façon je me moque
de ces informations ne me fiant qu'à ma bonne étoile.
Le paysage est de toute beauté
et je ne regrette absolument pas mon engagement. Je crois qu'à cet
instant je me suis mis dans un petit coin de ma tête, l'idée de passer
la nuit dehors. Ce nouveau challenge m'excite un peu. La piste se
divise en deux. Mon intuition me fait opter pour la piste de gauche
celle qui est légèrement en pente. Le temps d'hésiter un bref instant,j'entends
le bruit d'un petit camion qui s'amplifie. Le voilà qui débouche du
virage. Le chauffeur et les passagers m'encouragent à monter.

Vraiment je n'en ai guère envie.
Devant leur insistance c'est avec beaucoup de réticence que je grimpe
mon matériel sur le toit avant de le rejoindre. Deux hommes se trouvent
déjà là. Ils me questionnent sur ma présence dans un coin aussi perdu.
Mes explications ne semblent pas les convaincrent. Comment peut-ont
se retrouver dans ce bled perdu eux qui sont contraints de faire ce
parcours simplement pour acheter le nécessaire pour se nourrir, se
vêtir. Voyager ne fait pas parti de leur priorité, c'est un peu contre
nature de partir seul sans sa femme et ses enfants. La bicyclette
représente le moyen de locomotion du prolétaire. Ils se demandent
bien pourquoi je n'ai pas choisi de voyager avec un 4x4. Ils me renseignent
sur la distance qu'il reste à parcourir sur cette piste soit trente
bornes.
Je suis chahuté de toute
part la piste est défoncée. Un petit village est en vue. Loin de la
vie des villes, il règne ici une ambiance toute particulière. Deux
marocains quittent l'habitacle du camion. Quelques chèvres prennent
nos places sur le toit. Nous réintégrons l'intérieur du véhicule.
Nous roulons encore une heure et au sortir d'une gorge le goudron
refait son apparition.
C'est ici que je dis adieu à
mes compagnons de route. A l'instant précis j'apprécie ce moment et
je ne peux que remercier le chauffeur et lui offrir deux tees shirts
qui allègerons mon sac. Mais au fond de moi je sais que j'ai raté
l'occasion de vivre un moment encore plus fort. L'aventure dont je
rêve toute l'année, cette après midi l'occasion m'était donné de la
côtoyer. Certes la présence de ce camion sur cette piste m'autorisait
à terminer l'étape prévue initialement. Cependant il faudra bien qu'un
jour j'adopte une attitude moins drastique quant à la réussite ou
non de l'itinéraire programmé. Sinon je cours le risque de passer
à côté de ce qui fait l'essentiel d'un tel périple c'est à dire l'imprévu,
l'inopiné, le fortuit. Seule petite excuse à ce comportement, l'équation
entre le contenu de mes randonnées et la durée de celles-ci. De deux
choses l'une soit, je revois à la baisse mes prévisions sur la distance
journalière à effectuer, voir ne pas en faire du tout, soit rallonger
la durée de mes équipées. Ces raisonnements se bousculent encore dans
mon esprit tout en essayant de retrouver un rythme adapté à une journée
fractionnée au possible.
Quarante kilomètres restent à
parcourir pour atteindre Tazenakht. Le vent, le parcours montagneux,
la tension et la fatigue accumulée depuis le départ matinal perpétreront
mon arrivée à la nuit tombante. Le dernier col le Tizi n Taguergoust
à seize cent quarante mètres d'altitude me donne bien du fil à retordre.
Mais le spectacle du soleil couchant derrière ces montagnes me fait
oublier la lassitude engendrée par une si longue journée.
Aussi la remémoration de la vision
une heure auparavant, de ces enfants vivant dans une atmosphère particulièrement
viciée me donne du courage. Quêtant au bord de la route qui surplombe
la mine d'argent où leur père travaille, ils errent au milieu d'un
milieu naturel peu propice à leur épanouissement.

Il est dix neuf heures quand je rentre dans les faubourgs
de Tazenakht, douze heures après mon départ de M'Hamid. Je trouve
rapidement un petit hôtel, sans douche ni confort, prends un rapide
dîner et au lit. Ce soir inutile de faire des rencontres.
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