
En
me mettant en selle ce matin je ne savais pas que cette étape serait
la plus longue de mon périple. Ma destination initiale était Nekob,
distant d'une centaine de kilomètres. Une petite contrariété viendra
quelque peu bouleverser le cours des choses. Je retourne au désert.
Rien ! Que des cailloux ! Il n'y a pas âme qui vive. Je ne pense qu'à
une chose : progresser. Heureusement le vent est favorable. De temps
en temps une piste marquée par un tas de cailloux part de la route
pour s'enfoncer dans ces regs. Je devine alors quelques constructions
sommaires dans le lointain. Et toujours cette question " mais comment
des gens peuvent ils vivrent dans cet environnement ? "
Prés de soixante dix kilomètres
de mon lieu de départ Tazzarine. Cette petite ville risque de devenir
une étape touristique importante quand la nouvelle route qui relie
Erfoud et Zagora aura définitivement conquise les voyageurs. Déjà
un immense complexe touristique y a été construit laissant présager
ce que sera ce site dans un futur proche. Il faut dire que la nature
a particulièrement gâté cet endroit. C'est un paysage de plaines rocailleuses
sur lesquelles se dressent des pics rocheux à l'allure magique. Un
oued apporte l'eau nécessaire au développement d'une palmeraie qui
amène une touche de vert qui contraste avec l'aridité ambiante.
Je décrète une courte pause pour
faire emplette d'énergie. Je savoure ce lieu assis sur le parapet
qui surplombe le lit de l'oued. Quelques barres de céréales avalées
et me voilà reparti pour trente bornes.
Nékob ! Kilomètre cent.

Certes la chaleur est bien présente,
mais très supportable. Surtout en roulant ou les courants d'air sèchent
ma transpiration. Par contre dès que je m'arrête surtout en plein
soleil j'ai la sensation que ma peau brûle malgré la protection solaire.
Je cherche alors un coin d'ombre pour m'isoler. Pour trouver à me
loger ce soir je décide d'aller acheter un coca à l'épicier du coin.
Le montant de la divine boisson rafraîchi un peu mes ardeurs et me
laisse un goût de " tiens il ta pris un peu pour un pigeon ". Je décide
d'aller me désaltérer à l'ombre d'une bâtisse en face de sa boutique.
Deux jeunes viennent aussitôt me rejoindre. Je les questionne sur
le juste prix de cette bouteille. En effet mon gars s'est moqué de
moi en multipliant par deux et augmentant ainsi son profit. Tant pis
pour les autres commerçants de la ville.
Il est tôt, je suis en pleine
forme et les cinquante bornes pour la prochaine ville ne me font pas
peur.
En avant ! Aujourd'hui je battrais
le record de distance pour une étape dans le sud marocain. Le vent
a quelque peu tourné et devient moins favorable. Le paysage ne change
pas,toujours aussi monotone. La chaleur croît sensiblement et les
jambes ne tournent plus aussi bien. J'essaye de rester concentré et
après plus d'une heure trente d'effort je parviens à un site plus
vert et les palmiers donnent à penser que l'eau n'est pas loin.
La vallée du Draa commence. Juste
à l'intersection avec la route de Zagora je repère un café restaurant.
Un employé lave au jet des tapis de sol. Je lui demande de m'arroser
la tête. La fraîcheur de l'eau me requinque et je prends aussitôt
la direction de Zagora bien décider à stopper rapidement ma journée.
Aucune indication d'hôtel. Sur ma carte sont indiqués une suite de
petits villages, tous aussi peu importants pour bénéficier de la moindre
infrastructure hôtelière.
Je fais une nouvelle pause sur
la terrasse d'une maison toute neuve. Elle est inhabitée et les propriétaires
ont méticuleusement cadenassé toutes les ouvertures. Sans aucun doute
appartient-elle à des marocains partis momentanément en France. A
nouveau je reprends la route. Cinq cent mètres plus loin deux jeunes
enfants d'une dizaine d'années me hèlent. Je leur demande de remplir
mes bidons d'eau. Ils veulent absolument que je grimpe jusqu'à leur
maison perchée sur une butte de terre difficilement accessible avec
mon attelage. Je cède à leur requête, me voilà escaladant cette pente
en terre et me plante la pédale dans le mollet. J'en serais quitte
pour un bleu. Arrivé au sommet ils m'affirment que la maison est fermée
Je ne comprends pas tout mais l'un des deux part me chercher de l'eau.
Il revient avec le précieux liquide dont je me sers principalement
pour me rafraîchir la tête. J'allais les quitter quand un autre garçon
apparaît avec un plateau chargé de trois verres de thé à la menthe.
Je comprends un peu mieux maintenant l'attitude des jeunes qui tout
à l'heure me faisaient croire que la maison était fermée. En effet
par une ouverture je perçois furtivement la silhouette d'une femme.
Leur maman ne pouvant pas recevoir un étranger chez elle en l'absence
de son mari, s'est acquittée de me faire un thé et à délégué ses enfants
pour me le servir.
J'ai décidé d'aller au prochain
village distant de trois kilomètres, et de stopper coûte que coûte
l'étape. Je me mets en quête de trouver un toit pour la nuit et ne
tarde pas à faire la connaissance du préposé à la télé boutique. Il
me propose de dormir chez lui mais comme il n'est que seize heures,
il me reste plusieurs heures à patienter. Je reste un bon moment devant
sa boutique,récupérant des efforts déployés depuis ce matin. Il est
difficile de me reposer car obligatoirement les enfants de la rue
tels des mouches s'agglutinent devant moi. Parfois chassés par un
ancien d'autres reviennent à la charge. Je me vois mal alors resté
à attendre le soir, que l'homme qui veut m'héberger ait fini sa journée
de travail.
J'ai une idée. L'image de l'homme
qui lavait ses tapis devant le café restaurant me revient à l'esprit.
Je me dis qu'un café dans la région peut très bien faire office de
gîte. Je rassemble mes affaires et refais à l'envers cinq kilomètres.
Mon intuition est la bonne. Si la façade de ce café restaurant se
montre sans prétention, sans artifice, elle cache un petit trésor.
A mon arrivée trois hommes discutent
attablés à la terrasse. Après les salutations d'usage je leur confie
mon intérêt de passer une nuit dans l'établissement. L'un d'eux se
lève et veut me présenter à celui qu'il appelle le 'chef'. Il désigne
mon matériel à ses deux acolytes pour une surveillance, et m'invite
à le suivre. Nous ressortons et contournons le bâtiment en longeant
un mur de pisé. Puis nous pénétrons dans le jardin qui s'étire tout
en longueur derrière le café-restaurant. Des palmiers apportent l'ombre
nécessaire pour paresser sous deux grandes tentes dressées sur le
terrain.

Le propriétaire
démontre un certain goût pour la botanique tel le prouve les nombreuses
plantations de végétaux qui ornent les massifs. Un véritable trésor
dans une région qui manque cruellement d'eau.
Le 'chef' déguste un tagine avec
deux jeunes enfants. Il m'accueille chaleureusement en me priant de
m'asseoir à sa table et de partager son repas. Ni assiette ni couvert,
il faut prendre un morceau de pain et s'en servir de pince pour saisir
les morceaux de viandes et de légumes dans le plat disposé au centre
de la table. Il ordonne à un de ses enfants de m'apporter un coca.
Après nous être rassasier il m'invite à m'installer pour la nuit sous
une tente où sont étendu par terre des matelas.
Je ne peux rêver plus beau décor
pour une nuit à la belle étoile. Le robinet d'arrosage me sert de
douche et j'en apprécie ses effets rafraîchissants. Mohamed mon hôte
me confie qu'un cycliste voyageur a fait étape chez lui et a signé
le livre d'or de l'établissement en notant au passage ses cent dix
millièmes kilomètres parcourus soit deux fois et demi le tour de la
terre. En échange de son hospitalité Mohamed me donne rendez-vous
après le dîner pour un cours de français.
Je profite de la fin d'après
midi pour me reposer, ranger quelques affaires, flâner dans le jardin.
A la nuit tombée, Mohamed après
m'avoir fait préparer un repas m'accapare pour son cours de français.
Nous passons la soirée à bavarder. Il me fait part de ses projets
d'agrandissement et d'embellissement de l'établissement qu'il a hérité
de son père. Plusieurs chambres à l'étage sont prévues. Le seul problème
est l'argent, comme partout dans le monde. Je l'ai vu converser tout
à l'heure avec des hommes dont il m'apprend que ce sont des architectes
et que les devis sont beaucoup trop importants pour son porte- monnaie.
J'ai l'impression aussi que mon homme a un peu la folie des grandeurs.
Il désire que je lui enseigne des phrases ou expressions toutes faites
pour satisfaire une clientèle francophone. Ainsi me demande-t-il la
façon de demander à un convive quand il a finit de manger, pour pouvoir
débarrasser la table. Traduction.
'S'il vous plait monsieur, madame, puis je débarrasser votre table
?'
Je lui note cette phrase sur son cahier et en face il écrit à son
tour la traduction en phonétique en langue arabe. Mais il y a un problème,
Mohamed est incapable malgré tous ses efforts d'articuler " puis-je
" Je lui conseille alors de remplacer puis -je par est ce que je peux
débarrasser votre table ? Ça va nettement mieux.
Toute la soirée nous passons
notre temps à traduire par écrit des expressions françaises en phonétique
et en langue arabe.
Il est bien tard quand je regagne
mon duvet, et je ne tarde pas à tomber dans les bras de morphée.
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