Etape 6 : Siguetu Marmatiei-Borsa

 

 

         Comme il a l'air triste mon compagnon de cette nuit! Il assiste imperturbable au rangement du campement.

         Le ciel semble lavé après les pluies torrentielles. Tout est trempé. Je me promets de prendre quelques instants dans la journée pour sécher mon matériel. Le soleil devrait être au rendez-vous de cette étape que j'attends depuis des mois.

        A Vedu Izei, kilomètre cinq, je m'asseye à la terrasse d'un café pour y prendre ma boisson préférée du matin.

         Je me trouve à l'intersection de la route 18 qui se poursuit jusqu'à Baia Mare et une petite route qui part à gauche.

        C'est là précisément que commence la vallée de l'Iza.

         Le soleil levant se reflète sur les toits de zinc de l'église.
J'ai tellement fais des recherches sur cette région des Maramures que j'ai l'impression de la connaître déjà. Pourtant la vallée de l'Iza mérite qu'on s'y attarde.

         En la contemplant, j'ai l'impression de faire un voyage dans le temps. Nul part ailleurs je n'ai ressenti un tel sentiment de honte par rapport à ce qu'on a fait de notre planète. Ici pas encore de panneaux publicitaires, ceux là même qui ont envahis notre univers et pollués notre quotidien. Au loin se nichent des villages sur des collines d'un vert tendre.
J'ai le sentiment d'un site épargné.

         J'observe les scènes si ordinaires de la vie quotidienne. Un jeune garçon accompagne sa grand-mère pour l'approvisionnement du lait, avec sur l'épaule, une fourche en bois.

         Deux jeunes filles reviennent de l'épicerie locale avec quelques emplettes,

        tandis que deux de leurs camarades posent fièrement devant mon objectif.

         Une odeur de bois emplit l'atmosphère.

        Le bois est le principal matériau utilisé dans les villages de la vallée de l'Iza.

        Maisons en bois, portails en bois, vérandas en bois, croix en bois et bien sûr église en bois.

         Pas le moindre véhicule à moteur en vue.

        Ici, le principal moyen de transport, la charrette, est aussi fabriqué avec des planches de bois.

         Dans les prés, sont installés des gabarits en bois qui servent au séchage du foin. Le fourrage lui-même est coupé traditionnellement à la faux.

         Presque nulle part ailleurs les traditions n'ont été aussi préservées qu'ici. Pourquoi cet état de fait?

         Loin de la capitale Bucarest, caché entre les contreforts du nord des Carpates roumaines, le Maramures a échappé en grande partie au regard du régime communiste. Mais c'est aussi la nature rebelle de la population, tel ce célèbre petit village gaulois qui résistait à l'envahisseur Romain.

         Pourtant quelques signes avant- gardistes me font craindre le pire. Quelques villas modernes aux couleurs criardes jurent dans cet univers préservé.

         Combien de temps encore, les autochtones parviendront-ils à sauvegarder leurs traditions?
Tout d'abord en ont-ils vraiment le désir?
Peut- ont aller contre le progrès? Il faudrait sans doute que j'aille le demander à ce jeune homme accompagnant sa mère.

         De cette discussion ressortirait-il alors un conflit de génération entre cette femme et sa progéniture?
Je décide de les laisser laver leur linge sale en famille et de poursuivre ma route.

        A Barsana, village situé à une douzaine de kilomètres de Vadu Izei sur la rive droite de l'Iza je repère immédiatement le monastère.

         Ce monastère orthodoxe où vivent des nonnes est de construction récente. En effet il a été édifié en 1992 à la place d'un autre ancien monastère. Dès 1991, les gréco catholiques ont construit sur ce site une église en maçonnerie en respectant l'architecture des anciennes qui elles étaient construites en bois.

         Tout en restant le plus discret possible, je ne peux empêcher la mère supérieure de m'épingler à son tableau de chasse.
"Cachez- moi cette paire de jambes semble-t-elle s'offusquer, tout en me parant aussitôt d'une jupe descendant jusqu'aux chevilles."
M'exécutant devant l'autorité, je vise un couple dont l'une des deux filles pouffe de rire.
Aie, Aie, Aie mon orgueil va en prendre un coup.
A 2500 km de notre bel hexagone, quelle n'est pas ma surprise de rencontrer des touristes français.
Venus me saluer, je ne suis guère à l'aise dans ma tenue de drag-queen. Pourquoi justifier mon accoutrement?
En tout cas, ça aura toujours eu l'effet et l'avantage de dérider ces deux demoiselles. La visite des monastères Roumains avec leurs parents n'est pas toujours synonyme de bonnes franches parties de rigolade.(Désolé, vous n'aurez pas de photo)

         Malgré sa beauté, ses vertes pelouses, ses balcons admirablement fleuris je quitte ce lieu assez rapidement. Déjà débarquent les cars déversants leurs flots de touristes.

         A Rozavlea se tient un pittoresque marché en pleine nature. On y vend du riz, du blé, en grande quantité.

         On y trouve également des blouses traditionnelles avec des dentelles industrielles, des tissus de toutes sortes, des bibelots aussi laids qu'inutiles.

         Comme sur tous les marchés du monde on s'y rend surtout pour colporter les dernières nouvelles du coin.

         Je fais ici deux rencontres et tout d'abord celle d'un Flamand. Je ne parle pas ici de l'oiseau, encore que celui-ci fasse également partie d'une espèce assez rare dans ces contrées, mais celle d'un Belge de la région des Flandres.
Mon oiseau rare donc, un homme quelque peu solitaire, est venu dans cette région se ressourcer. Il a acheté une bicyclette locale pour vadrouiller à souhait. Il compte rester plusieurs semaines, s'immergeant totalement dans cet environnement.
Mon second lascar, un jeune routard italien parle parfaitement le français. Arrivé de Bucarest par le train, il envisage de parcourir la région à pied pendant ses trois semaines de congé. Il me narre son début de matinée où il s'est quelque peu égaré dans la forêt.

         Nous devisons tous les trois encore un moment avant que nos chemins se séparent.
A peine ais-je repris la route qu'au village suivant, Sieu, je suis interpellé par un groupe de jeunes gens. Ceux-ci ont l'air particulièrement gais et exubérants. Mon regard se pose machinalement sur la plaque d'immatriculation de leur véhicule.

      Pas possible, mais c'est un repère de français pensais-je en lisant 94. Et moi de leur répondre qu'il n'y a vraiment que des français pour se comporter de la sorte.
"Viens, viens arrête toi boire un coup"
Bon si maintenant on me prend par les sentiments, il ne me reste plus qu'à obtempérer.
Je me dis qu'aujourd'hui ma moyenne sera la plus faible de tout mon voyage, mais comment refuser une "ptite mousse locale"?
Finalement, un seul des trois jeunes parle le français.
Il m'explique :" Nous sommes tous les trois roumains, mais moi je travaille depuis neuf ans à Paris".
Alors il me parle de sa vie, de son départ pour la France alors qu'il avait fait la connaissance d'une française. Ils se marièrent, eurent une petite fille et sont actuellement en instance de divorce. Demain sa progéniture le rejoindra pour passer quelques jours de vacances dans ce trou paumé comme il dit.
Chaque été il revient dans son village natal, où les distractions sont rares. Il passe alors le plus clair de son temps avec ses amis autour d'un verre. Enfin je devrais écrire de plusieurs verres.
Une jeune serveuse apparaît alors avec deux chopes de bière. Nous bavardons sur nos vies respectives, sur le coût de la vie en Roumanie, sur ce que gagnent les habitants, leurs habitudes, leurs espoirs.
Sur le chômage en Roumanie sûrement supérieur à 7% comme dans presque tous les pays d’Europe, il est d'après lui truqué. Difficile de connaître la part de la population active avec un contrat de travail.
Je l'interroge alors pour savoir si ce travail illégal est une chance pour son pays. Quand on sait que près de dix mille roumains travaillent au noir en France, mais aussi en Italie, peut-on penser qu'ils font ainsi bénéficier leur pays de précieuses devises? Il m'affirme que ce phénomène est encouragé par une loi sur la libre circulation à l'étranger.
Souvent, nous percevons et caricaturons ces travailleurs roumains comme l'un travaillant dans le bâtiment, l'autre étant une femme de ménage. Un peu réducteur comme pensée car il y a également des médecins, des écrivains, des cadres supérieurs. Ils détiennent un passeport roumain et gagnent en France plus de 1500 euro par mois, alors que dans leur pays, leur salaire ne dépasse pas 200 euros. Comme ces gains sont généralement réinjectés dans leur pays d'origine, la question de savoir si ce phénomène est une chance pour la roumanie semble tenir la route. Dans tous les cas si le gouvernement roumain y trouve son compte, ainsi que les travailleurs qui s'expatrient temporairement et les patrons français qui ne paient pas de charges salariales, il n'en est pas de même de l'état français. Pour ceux qui restent encore dans leur pays, leur salaire ne suffit généralement pas pour faire vivre décemment leur famille.

         Dans ce pays où l'hiver est généralement plus long et plus rigoureux que chez nous, se chauffer demeure un luxe.

         Dans les campagnes, les jardins couvrent une grande part des besoins alimentaires et offrent de surcroit un réel complément de revenu. Les ménages revendent sur les marchés ou sur le bord des routes les surplus. Dans les villes, il est plus facile de trouver un travail mais la précarité demeure. Ainsi le chômage peu indemnisé, l'accès aux soins encore difficiles pour beaucoup et l'insécurité de plus en plus palpable sont des points sensibles pour la population.
Il m'apprend aussi que le nombre d'heures travaillé par an en Roumanie est le plus important des pays d'Europe.
Ayant dénombré peu de personne parlant la langue de Molière alors que je croyais les roumains un peu francophone, je demande à mon hôte si le français est en recul en Roumanie.
Il croie savoir qu'après une période où l'anglais a détroné le français dans la tête des jeunes roumains, il sent depuis quelque temps un nouveau sursaut de notre langue.
Déjà près d'une heure que je suis scotché ici. Le temps d'une photo et il est temps de reprendre la route.

         Pour moi, le Maramures et plus particulièrement la traversée de la vallée de l'Iza restera une expérience remettant en question mes habitudes de vie. Je prends conscience du fossé qui s'est creusé entre la vie rurale, celle de mon enfance et celle de mon présent. Les souvenirs de mes vacances passées chez ma grand-mère, dans un village des Vosges me reviennent en mémoire. Nostalgie!

        Je regrette cette journée perdue le premier jour. Sans cet incident j'aurais pu prolonger mon séjour dans la vallée d'une journée.

         J'aurais tellement voulu explorer ces villages reculés que sont Botiza, Leud, Glod, Bociccel. J'espère un jour les découvrir avant que le progrès ne chasse leurs dernières traces d'authenticités et de traditions.

         Peu avant Salistea de Sus, je me laisse tenter par une dernière visite de monastère, celui de Dragomiresti.
On y accède par une côte abrupte non goudronnée.

         L'église date du XVIIe siècle, elle fut détruite pour la première fois en 1875 puis en 1949 suite à un incendie. Dans la cendre on a découvert une icône en bois qui représentait la Sainte Vierge avec le petit Jésus dans ses bras du XVIIe siècle.

         En face un couvent abrite l'icône de la Sainte Vierge, seul objet donc, qui résista à l'incendie. Ce Monastère resta fermé jusqu'en 1990.

         Depuis sa réouverture il offre des logements provisoires et des espaces afin de camper. Comme il est encore tôt je préfère continuer ma route.

         C'est à Sacel que se termine la vallée de l'Iza. Mon compteur affiche à peine soixante dix kilomètres. Je suis content d'avoir pris le temps de m'imprégner de l'atmosphère si particulière de ce site.

        Peu d'endroit existe encore en Europe, où les traditions et le mode de vie n'ont guère changées. Incontestablement un coup de coeur pour cette vallée.

         A Moisel un vent assez violent se lève. C'est ici que la route 17C rejoint la route 18. Ce brusque changement de cap m'avantage, le vent m'offrant alors ses bons et loyaux services. De gros nuages noirs s'amoncellent tandis qu'au loin je perçois les signes annonciateurs de l'orage.
S'engage alors entre moi et la pluie une course par handicap. Pour l'instant, je bénéficie encore d'un petit avantage, mais pour combien de temps.
         A peine une dizaine de bornes me sépare de Borsa la ville suivante. Poussé par des rafales violentes, je ne désespère pas de trouver à temps un lieu pour me mettre à l'abris et passer la nuit.
        Quel dommage que cette journée ensoleillée se termine ainsi! En tous cas ça ne me donne pas trop envie de goûter aux joies simples du camping. D'autant plus que je n'ais pas pris le temps de faire sécher mon matériel après la dernière nuit passée sous l'orage.
         Les premières gouttes d'eau viennent me fouetter le dos lorsque j'aperçois les néons lumineux d'un hôtel à l'entrée de Borsa. Sans hésiter, je m'engouffre sous le auvent d'entrée tandis que l'orage s'abat sur la ville.
A deux minutes près, les trombes d'eau qui obscurcissent le paysage m'auraient trempées. Je me sens un peu coincé dans cet hôtel auquel j'aurais préféré le toit protecteur d'un habitant du coin. Terminer une si belle journée de la sorte ne m'enchante pas. Cependant je me doute bien que l'orage va perdurer. Impossible donc d'aller solliciter un refuge chez l'habitant.
Je me résous à rejoindre la réception.

         Plus tard dans la soirée, alors que je consigne quelques notes sur mon bloc de voyage l'orage est passé. Le nez collé à la vitre de ma chambre j'assiste aux divers programmes que la météo locale diffuse: rinçage, essorage et récurage.

         La nuit tombante masque un paysage voilé par les brumes amoncelées sur les pentes de cette station de sport d'hiver. Borsa est une localité touristique située dans les Monts Rodna qui font partie des Carpates orientales dans le nord de la Roumanie.
Sur un guide touristique j'apprends que le climat de la ville est montagnard : froid et humide, avec des été frais, (15°C en moyenne l'été) et des hivers froids ( -7°C en moyenne l'hiver). Les précipitations sont abondantes (900- 1000 mm par an).

         Cette soirée confirme les statistiques...


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Dimanche 30/07/2006
Budapest

Lundi 31/07/2006
Budapest-Jaszapati
(120 km)

Mardi 01/08/2006
Jaszapati-Debrecen
(150 km)

Mercredi 02/08/2006
Debrecen-Satu Mare
(110 km)

Jeudi 03/08/2006
Satu Mare-Sighetu Marmatiei
(100 km)

Vendredi 04/08/2004
Sighetu Marmatiei-Borsa
(80 km)

Samedi 05 /08/2006
Borsa-Campulung Moldovenesc
(110 km)

Dimanche 06/08/2006
Campulung Moldovenesc-Targu Neamt
(110 km)

Lundi 07/08/2006
Targu Neamt-Gheorgheni
(130 km)

Mardi 08/08/2006
Gheorgheni-Teliu
(150 km)

Mercredi 09/08/2006
Teliu-Ploiesti
(110 km)

Jeudi 10/08/2006
Ploiesti-Ruse
(150 km)

Vendredi 11/08/2006
Ruse-Veliko Tirnovo
(120km)

Samedi 12/08/2006
Veliko Tirnovo-Radonovo
(120km)

Dimanche 13/08/2006
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